La Très Grande Traversée Pierrot Rias : 120 km/h sur corde au-dessus du Vercors 

Présentation
Mise en place
Instrumentation
Chariot de récupération
Calculs
Logiciel GHTyro
Photos et impressions

 

Présentation

Tyrolienne Pierrot Rias - Vercors 2008 - Vue du départ

En 2006, lors de la soirée de gala du congrès de Périgueux, quelques spéléos imaginent un projet un peu fou : réaliser une tyrolienne de plus d’un kilomètre de longueur, et battre ainsi le record mondial de la Velky Traverz, établi en 1997 par les Slovaques, avec 847 mètres de longueur, à l’occasion du congrès UIS de La Chaux-de-Fonds.
Le congrès européen Vercors 2008, organisé par la France sous l’égide de la Fédération européenne de spéléologie, semble l’occasion rêvée pour frapper ce grand coup…

Divers projets sont échafaudés avant que ne soit retenu le plus ambitieux : une « Très Grande Tyrolienne » sur corde simple, avec une dénivellation suffisante entre les points de départ et d’arrivée pour que la traversée soit rapide, autorise un nombre important de passages pendant la courte durée du congrès, et ne demande pas de progression fastidieuse à la poignée.
Le maître d’œuvre sera le Spéléo Secours Français, dont la maîtrise en matière de tyrolienne ne demande qu’à être montrée « au grand jour ».
En effet, le SSF a installé au fil du temps un nombre incalculable de tyroliennes au cours de ses exercices et de ses opérations. Il a aussi conduit en 1996, dans les laboratoires de la société Petzl, une série d’essais qui ont établi que la seconde corde toujours utilisée jusqu’alors en sécurité, était inutile. Pour les tyroliennes horizontales, les efforts générés restent en effet très faibles lorsqu’on les compare à la valeur de rupture des cordes utilisées pour ces manœuvres, et ceci d’autant plus que la longueur de corde est grande. Ils ne dépassent guère 10% des résistances à la rupture communément atteintes par les cordes semi-statiques. La Très Grande Tyrolienne, ou TGT, sera l’occasion d’étendre cette étude aux tyroliennes inclinées.

Calculs et prospections

De janvier à avril 2008, plusieurs équipes se lancent séparément dans les calculs et les modélisations, afin d’approcher une vérité théorique qui prenne en compte des grandeurs aussi diverses que la masse transportée, l’élasticité sous charge, la portée, la dénivellation, le coefficient de pénétration dans l’air. Il faut tout envisager, même la possible influence du vent et une mise en vibration de la corde…

Les calculs les plus aboutis, ceux de B. Lismonde, seront finalement utilisés. Ils sont présentés ici.

Le site choisi est situé sur la commune de Rencurel, dans les gorges de la Bourne. Le point haut est situé en bordure des falaises impressionnantes qui plongent vers la rivière en rive droite, un peu au sud du Pas des Rages, à l’altitude de 1104 m. Le point bas est fixé sur le flanc sud-est du Perrellier qui domine le village de La Balme-de-Rencurel, en haut d’une petite barre rocheuse (alt 864 m). La projection de la future tyrolienne est de 1122 m en horizontale. Elle est de 240 m en verticale, mais la corde descendra bien sûr plus bas, jusqu’à passer à une cinquantaine de mètres du sol avant de remonter vers le Perrellier.

Tyrolienne Pierrot Rias - Vercors 2008 - Vue d'ensemble

 

Première mise en place

Une corde d’essai (caractéristiques ci-dessous) vient de sortir des chaines de fabrication de la société Courant, partenaire officiel de ce projet.

LA CORDE DU RECORD

  • Marque : Courant
  • Modèle : équipole 10,5 mm
  • Matière : polyamide/polyester
  • Résistance avec nœud en huit : 31 kN
  • Allongement entre 50 et 150 kg : 3%
  • Poids au mètre : 74 g
  • Glissement de gaine : 0,5%
  • Poids de la gaine/poids total : 40,1%
  • Rétraction à l’eau 2,8%

Afin de vérifier les données issues des calculs théoriques, un test grandeur nature est programmé pour début juillet. Hélas, la semaine qui précède est porteuse d’une terrible nouvelle : Pierre Rias, l’un des fondateurs du Spéléo Secours Français vient de nous quitter brutalement. Membre du spéléo-club des Vulcain, instructeur de l’E.F.S., organisateur de très nombreuses explorations au gouffre Jean-Bernard, il était une figure de la spéléologie française. Cet homme de terrain représentait la force, le dynamisme, l’initiative … Sur la proposition d’Olivier Vidal, nous décidons d’honorer sa mémoire en lui dédiant notre tyrolienne d’exception.
Il faudra trois jours d’efforts pour la première mise en place et pour les tests indispensables, durant lesquels les données ont été acquises grâce à une instrumentation spécifique, conçue par Laurent Morel et son équipe.

Tyrolienne Pierrot Rias - Vercors 2008 - Mise en tension
La mise en tension de la corde est une longue patience

Quant au chariot de récupération destiné à la reprise par simple contact de la charge après son immobilisation sur la corde afin de la ramener au point d’amarrage bas de la tyrolienne, il a été imaginé et réalisé par Bernard Tourte.

 

Tyrolienne Pierrot Rias - Vercors 2008 - Chariot de récupération
Le chariot de récupération assure la traction vers l’amarrage bas

Il ne reste ensuite qu’à démonter les ateliers, couper l’excès de corde au Pas des Rages et filer du mou depuis le Perrellier jusqu’à ce que la corde se pose au sol dans la prairie, où elle est coupée et laissée sur place jusqu’en août. Ses deux brins serviront à la mise en place de la corde définitive.

Le Préfet s’élance…

C’est un mois et demi plus tard, le 23 août 2008, pendant le congrès européen de spéléologie Vercors 2008, qu’a lieu l’inauguration de cette tyrolienne d’exception. Les autorités sont là, la presse aussi. Les discours s’enchaînent.

À 12 heures précises, un tachéomètre Leica TCR407 mesure les caractéristiques de la tyrolienne : 1122 m de distance entre les deux ancrages pour 240 m de dénivelée et 1096 m de distance horizontale, ce qui officialise le nouveau record.

Monsieur Gilles Barsacq, Préfet du département de l’Isère, ne résiste pas à l’attrait du vide et s’élance sur la corde. Il est suivi de Laurence Tanguille, présidente de la Fédération Française de Spéléologie, et d’Eric Zipper, président du Spéléo Secours français

 

Tyrolienne Pierrot Rias - Vercors 2008 - Avant le départ
La longe de retenue est désolidarisée de la poulie Tandem par le passager, ce qui déclenche son départ.

L’occasion est unique ! Nul ne voudrait céder sa place, malgré le stress d’avant départ et le pincement au cœur que chacun ressent au moment du largage.
L’atelier est resté monté durant deux jours, ce qui a permis à cent personnes de bénéficier du privilège de ce tour de manège d’exception. Parmi elles, Gustav Stibranyi, délégué par la fédération slovaque de spéléologie et détenteur du record précédent. À chaque traversée étaient mesurés le poids du passager, la tension de la corde hors charge et la distance atteinte ; autant de données techniques qui ont pu êtres emmagasinées dans le dessein d’approfondir nos connaissances sur le fonctionnement des tyroliennes. Ces cent personnes ont ainsi œuvré, sans même s’en rendre compte, à la poursuite des recherches du S.S.F. Celles-ci contribueront demain à l’évolution des matériels utilisés : répartiteurs de charge aux ancrages, systèmes de blocage de la corde en tension, poulies spécifiques. Elles permettront aussi de modifier la structure des cordes afin d’augmenter les tensions de fonctionnement admissibles et donc les distances entre points d’amarrage qu’il sera possible d’envisager.
L’objectif de ce site est d’accompagner au mieux ceux qui, bientôt peut-être, vont s’organiser pour relever le nouveau challenge. Qu’ils lisent d’abord les dix recommandations aux concepteurs de longues tyroliennes, avant de se jeter dans l’aventure, et de faire mieux que nous !
Car tous les records sont destinés à être battus, et celui-ci, n’en doutons pas, ne fera pas exception…

Dix recommandations pour réaliser une tyrolienne en corde avec descente naturelle sous l’action de la pesanteur

1- Il faut d’abord se fixer un ordre de grandeur de la portée. En fonction de ce paramètre, on déduit pour une tension raisonnable donnée de la corde (par exemple 200 à 300 daN à l’amarrage supérieur) la dénivellation nécessaire pour que le spéléo n’arrive pas trop loin de l’amarrage inférieur par le simple effet de sa descente. La corde retenue pourra être de 10 mm de diamètre environ. Il faut s’adresser à un calculateur qui sera responsable de ce qu’il avance. Ne pas hésiter à faire contrôler les calculs.

2- Trouver un site qui s’y prête. Le trajet choisi ne doit pas passer au-dessus d’une route, d’une ligne électrique ou d’une habitation. La dénivellation à adopter augmente vite avec la portée de la tyrolienne. Le mieux est que le départ et l’arrivée se situent au sommet d’une falaise. À l’amarrage bas, cette falaise peut être très petite (quelques mètres). Il faut calculer la trajectoire d’un spéléo de 100 kg et la reporter sur le dessin en coupe du terrain (échelles horizontale et verticale identiques). On doit garder en tout point une marge suffisante par rapport au relief. Il faut, bien sûr, disposer de l’autorisation des propriétaires des terrains sous-jacents et prévenir du projet les autorités communales.

3- L’installation de la tyrolienne peut se faire par traction manuelle en terrain dégagé. Mais pour les grandes longueurs et en site boisé, il faut prévoir le montage par hélicoptère. Il prend une extrémité de la corde sur le sol au point bas du trajet et la monte au point d’amarrage haut. Idem pour l’autre côté. La corde qui repose encore sur le sol est ensuite tendue depuis l’amarrage supérieur à l’aide d’un palan jusqu’à ce qu’elle décolle.

4- Il faut ensuite tendre la tyrolienne avec la tension calculée à l’avance. Pour mesurer cette tension, deux possibilités : on dispose d’un dynamomètre et on l’installe en série sur la corde non loin de l’amarrage (la corde, bien entendue, reste en parallèle avec l’appareil et pallierait l’éventuelle rupture soudaine de celui-ci). Si on ne dispose pas d’un dynamomètre, on installe la corde sur une poulie qui renvoie la tension sur une masse correspondant (par exemple m = 200 kg, pour une tension de 200 daN calculée). Les amarrages doivent respecter les consignes du Spéléo Secours Français (répartiteur de charge). Il faut également conserver à tout instant la possibilité de détendre rapidement la corde : elle doit donc être montée sur des descendeurs aussi bien à l’amarrage bas qu’à celui du haut.

5- Il faut construire un dispositif monté sur chariot pour la récupération de la personne depuis le point bas. Cette dernière doit pouvoir y être ramenée par simple traction, même si elle est inconsciente (cf. le harpon de la tyrolienne de Vercors 2008). À l’arrivée, il faut installer un système d’amortissement efficace pour le cas d’une personne (très légère par exemple) qui impacterait le point d’amarrage bas à une vitesse non nulle. Un matelas en mousse peut faire l’affaire si son épaisseur dépasse (par exemple) 40 cm. Il doit être assez grand pour couvrir toutes les parties du corps au moment d’un impact éventuel.

6- Il faut procéder avant toute descente à un ou plusieurs tests avec des sacs remplis de 80 kg de pierres. Il est judicieux que ce soit ensuite le responsable de la tyrolienne qui s’élance en premier.

7- Ne pas faire descendre des gens qui seraient incapables de remonter sur la corde avec les bloqueurs (spéléos ou montagnards confirmés donc). Craindre un réflexe de panique de la personne qui descend et se cramponnerait à la corde. Ne pas organiser de descente s’il y a trop de vent.

8- Il faut des gens au point haut et au point bas pour surveiller les descentes. Ces deux équipes communiquent par radio. Celui qui est à l’amarrage haut doit déclencher lui-même les départs : petite margelle, position du candidat au départ en déséquilibre, compte à rebours et largage. À l’arrivée la personne est libérée de son stress, elle a tendance à relâcher son attention. Il faut donc la surveiller de près car l’arrivée est forcément en falaise.

9- Il ne faut pas laisser une tyrolienne en place sans surveillance (de nuit comme de jour). Des inconscients pourraient être tentés de se lancer par bravade. La démonter tout de suite après la fin de son utilisation.

10- À l’issue de la manifestation, il faut rédiger un rapport en notant les caractéristiques de l’installation, les moyens utilisés, les incidents survenus, les idées d’amélioration, ainsi que tous les points d’intérêt. Ce retour d’expérience sera précieux pour les organisateurs à venir.

 

Maître d’ouvrage :
Fédération Française de Spéléologie (F.F.S.), organisatrice de VERCORS 2008 à Lans-en-Vercors.

Maître d’œuvre :
Spéléo Secours Français : Commission de la F.F.S. en charge de la coordination technique, de la réalisation et de la gestion du projet, sous la direction de Bernard Tourte.

Partenaires :
Société Courant : fournisseur officiel des cordes conçues, fabriquées et offertes pour la réalisation de cette tyrolienne (plus de 5000 m au total).
Société Petzl : prêts d’équipements techniques (poulies, mousquetons, bloqueurs, descendeurs, dynamomètre…) pour la mise en œuvre et la gestion du trafic sur la tyrolienne.
Société AlgoSys : prêt de matériel d’instrumentation (dynamomètre à mémoire d’enregistrement, sondes de températures, compte-tours, capteurs thermiques).
PGHM Alpes : mise à disposition d’un treuil à corde, d’une fronde et de différents personnels.

Ont contribué à cette réalisation :
Bernard Abdilla, Philippe Cabrejas, Jean-Pierre Cassou, Pierre Durand, Frédéric Chambart, Laurent Charbonnel, Olivier Guerrard, Nicolas Lenogue, Stéphane Lips, Baudouin Lismonde, Françoise Magnan, Georges Marbach, Alain Maurice, Denis Morales, Laurent Morel, Nicolas Renous, Nathalie Rizzo, Laurence Tanguille, Bernard Thomachot, Olivier Vidal.

Textes et crédits photographiques : Spéléo Secours Français sauf mention contraire.